Refus de FO de co-construire le « Grenelle Blanquer»

Madame la Rectrice,
vous avez convié les organisations syndicales à participer à un groupe de travail le 1er juin pour échanger sur votre « feuille de route RH » suite aux annonces du ministre. La FNEC FP-FO ne participera pas à ce GT et souhaite en exposer les motifs ci-après.
D’abord, nous tenons à relayer ici le sentiment de colère et les fortes inquiétudes exprimées par les personnels dès le lendemain des annonces de M. le ministre. Colère lorsque les conclusions du “Grenelle” – auquel notre fédération nationale a refusé de participer, rejointe ensuite par la FSU et la CGT Educ’action – ferment la porte à une revalorisation salariale pour tous qui, pour la FNEC FP-FO, doit se traduire par une augmentation d’au moins 20% de la valeur du point d’indice, commun à tous les fonctionnaires. La prime d’attractivité, versée à quelques-uns seulement, apparaît en plus très insuffisante. Inquiétudes lorsque, comme nous l’avons déjà exprimé à plusieurs reprises, en 2020 comme en 2021, les travaux du “Grenelle” aboutissent à plus d’autonomie, davantage de déréglementation et des dispositions inacceptables sur le plan statutaire qui s’inscrivent dans la mise en œuvre de la loi Darmanin de transformation de la fonction publique.
Moins de 24 heures après la conférence de presse du ministre, vous avez envoyé à l’ensemble des personnels votre « feuille de route » de 37 pages. Les personnels, eux, manifestent d’autres urgences qui ne trouvent de réponses ni dans le “Grenelle”, ni dans votre feuille de route. L’urgence, c’est par exemple la restitution des postes, des heures et des classes supprimées. C’est aussi que vous receviez les organisations des personnels et des parents d’élèves qui vous le demandent depuis plusieurs semaines, pour porter leurs revendications après plusieurs fins de non-recevoir au niveau des DSDEN. L’urgence, c’est que les personnels qui l’ont demandée voient leur demande de protection fonctionnelle satisfaite. L’urgence, c’est l’arrêt des contre-réformes dans le 1er et le 2nd degré, à commencer par celle du baccalauréat et du lycée qui place en cette fin d’année encore les lycéens et les personnels dans des conditions chaotiques, l’arrêt de la réforme territoriale, etc.
« Mobiliser au profit des élèves notre plus grande force : l’humain » écrivez-vous. N’est-ce pas contradictoire avec le fait que pour notre académie le ministre n’accorde aucun moyen supplémentaire en AED, CPE, PsyEN… voire même qu’il supprime des postes ? Et ce alors que plus de 8800 élèves supplémentaires sont attendus dans le second degré à la rentrée prochaine ? Nous constatons que plutôt que de revenir sur les suppressions de postes de personnels administratifs par exemple, le ministre – et vous le déclinez au plan académique – préfère promouvoir un « assistant virtuel » et autres plateformes numériques.

En ce qui concerne les personnels AESH, ni le Grenelle, ni votre feuille de route ne répondent à leurs préoccupations quotidiennes. Vous vous inscrivez dans le cadre de l’inclusion scolaire systématique, et aussi des PIAL dont les AESH demandent l’abandon, ce qu’ils rediront à nouveau ce 3 juin par la grève et les manifestations.
Vous écrivez vouloir « améliorer la réactivité des circonscriptions et des départements pour traiter les demandes de remplacement des écoles ». Pensez-vous au modèle de la Somme, que le ministre lui-même souhaite étendre et généraliser, où c’est désormais une start-up qui est chargée du traitement des remplacements ?
Mise en place d’une RH dite « de proximité », pilotage par l’évaluation, évaluation par les pairs, renforcement de l’accompagnement qui s’inscrit dans la continuité de PPCR, loi Rilhac posant les jalons d’un statut de directeur d’école supérieur hiérarchique… les conclusions du Grenelle, comme votre feuille de route, ne s’orientent-elles pas vers le renforcement d’une logique managériale ? Concernant spécifiquement les directeurs d’école, vous écrivez vouloir les « intégrer pleinement (…) dans la communauté de l’encadrement ». Une communauté que vous envisagez à plusieurs reprises : « Club des managers », « transformation managériale », « animation managériale », « managers de transition », « culture managériale partagée », « politique de l’encadrement renouvelée »… les termes ne manquent pas ! Les personnels n’ont pas besoin du renforcement de hiérarchies intermédiaires. Des hiérarchies démultipliées, pour quel usage ? S’assurer de la fluidité de la mise en oeuvre des contre-réformes ministérielles rejetées ?
En rupture totale avec les statuts nationaux, et en parfaite adéquation avec le cadre du Grenelle et des lois-cadres mises en oeuvre et aggravées par les gouvernements successifs (loi de refondation de 2014, loi Confiance de 2019…), vous définissez une feuille de route dont le maître-mot est la « logique d’individualisation ». Individualisation des postes également, avec le « recours ciblé aux postes à profil dans le 1er et 2nd degrés ». Cela rejoint parfaitement la logique de l’individualisation des rémunérations et des carrières souhaitée par le ministre, qui s’inscrit dans les cadres de la loi de transformation de la fonction publique, et de PPCR (déployé dès la mandature précédente).
Un « baromètre du bien-être » ? Pour « mieux identifier et suivre l’état du sentiment de bien-être et de la satisfaction de l’ensemble du personnel » ? Nul besoin de créer un quelconque baromètre : les personnels sont fatigués, très épuisés pour certains mêmes, ils estiment qu’on leur refuse les conditions pour travailler ne serait-ce que correctement, ils se sentent méprisés par un ministre et ce gouvernement qui ne répond pas aux revendications. Pas une seule fois les CHSCT ne sont cités dans votre feuille de route, et pour cause : ils sont détruits par la loi Darmanin dite de “transformation de la fonction publique”. Dans l’invitation adressée à toutes les organisations syndicales de l’académie, vous concluez : « [n]os échanges permettront de détailler précisément les mesures et d’évoquer naturellement les conditions de leur mise en oeuvre, du déploiement de notre feuille de route qui doit conduire à sa réussite ». Pour notre part, attachés à l’indépendance syndicale, nous conclurons ce courrier en affirmant qu’il ne s’agit pas de « notre » feuille de route, mais du cadre dans lequel le ministre cherche à enfermer les organisations syndicales, dans notre académie comme partout, pour les réduire à des partenaires sociaux co-responsables de la mise en oeuvre de ses décisions.
Pour sa part encore, attachée à la défense de l’Ecole de la République, publique et laïque, du Statut général de la Fonction publique et des statuts particuliers, des diplômes nationaux, et à l’amélioration des conditions de travail des personnels, la FNEC FP-FO rappelle son entière disponibilité pour discuter sur la base des revendications urgentes des personnels.
Je vous prie d’agréer, Madame la Rectrice, l’expression de ma parfaite considération.

Sébastien Ribeiro
Coordonnateur FNEC FP-FO Académie de Versailles